Pierre Liquide

Clément Périssé

 

Divagation sur deux façons de fabriquer des artefacts égyptiens.

En 1972, la Villa Médicis, alors dirigée par Balthus, commande une série de copies d'antiques à Michel Bourbon, ancien pensionnaire et expert en moulages. La Villa souhaite en effet repeupler son jardin, avec des duplicatas des œuvres qui s'y trouvaient depuis le XVIe siècle, mais qui furent déplacées dans les jardins de Boboli à Florence au XVIIIe siècle.

Le premier des artefacts à être reproduit est un obélisque égyptien en granit d'Assouan, de 6,34m de hauteur transporté depuis l'Egypte au Ier siècle sous Constantin, acquis par Ferdinand de Médicis au XVIe siècle et placé par lui dans les jardins de la Villa Médicis au centre de la Fontaine des Dauphins sur le parvis.

L'obélisque de Boboli sera moulé sur place à Florence par Michel Bourbon 1973. Un moule en silicone et plâtre servira à produire une empreinte remplie de résine composite, de poudre et d'agrégats de granit sur âme de béton. Il sera installé au centre de la Fontaine des Dauphins en 1974.

Le procédé développé par Bourbon permet ainsi de reconstituer un artefact minéral à partir d'un agrégat de la même pierre, solidifié par un polymère époxy, qui épouse les contours et détails de l'original moulé.

Dès 1972, le chimiste Joseph Davidovits travaille sur les réactions chimiques propres aux argiles. Il développera rapidement une expertise dans la fabrication de 'géopolymères', qu'on pourrait décrire comme des pierres reconstituées. Ces pierres sont faites d'agrégats minéraux et de poudre de la pierre qu'on cherche à reconstituer, mélangés à un liant minéral liquide, activé par un composé minéral, naturel également,  qui permet au mélange de durcir.

Les découvertes de Davidovits le mèneront assez rapidement en Egypte et plus particulièrement sur le site des pyramides de Gizeh. En effet, il pense, et c'est à cela qu'il dédiera sa carrière, que les pyramides auraient pu être pour tout ou partie bâties en pierre reconstituée.

A rebours du consensus archéologique historique et officiel, mais néanmoins sans lien avec les élucubrations conspirationnistes, Davidovits pense qu'une partie des blocs des pyramides a été coulée sur place dans des coffrages en bois à la manière du ciment, et non taillés dans des blocs de calcaire. Sa théorie, qu'il expose au congrès d'égyptologie du CNRS de 1979 suscite la surprise, l'incompréhension puis l'ire de la communauté archéologique.

La théorie de Davidovits adresse certes la question de la géométrie complexe de blocs et des joints quasi invisibles entre ceux-ci, la question de la quantité de main-d'œuvre requise (moins de trois mille ouvriers sur le chantier selon lui), et le transport des blocs monumentaux avec une approche presque modeste : la pierre liquide ne requiert que des seaux, des banches en bois de dimensions modestes et des échelles traditionnelles pour les manipuler.

Si l'on met de côté l'argument archéologique, la pierre liquide n'en demeure pas moins fascinante. Elle offre une approche qui met en avant l'utilisation des matériaux bruts du territoire dans un agencement alchimique. La fine connaissance des ressources disponibles combinée à la maîtrise des réactions entre minéraux permettent de ré-agréger une roche délitée, en blocs architectoniques ou en sculpture.

D'une poussière, ou de plusieurs poussières, on fait une roche complexe, on recombine en un jour ce que les mouvements tectoniques, les éruptions, les cataclysmes ont façonné à une échelle de temps cosmique. Des réactions assez frugales en énergie permettent d'imaginer une construction détritique, une mise en œuvre de débris, qui laisserait en paix les fronts de taille.

Dut-on un jour penser à reproduire à nouveaux des antiques, la pierre liquide y trouverait un terrain d'expérimentation idéal. À commencer par le bel obélisque de la Villa dont les polymères synthétiques rejouent eux, en accéléré, le phénomène d'érosion géologique, un même phénomène qui ne semble pourtant pas émouvoir les treize autres obélisques égyptiens qui quadrillent la ville de Rome.

  • Clément Périssé, architect, Rotterdam.
  • Clément Périssé, architect, Rotterdam.
  • Clément Périssé, architetto, Rotterdam.