Alors, on peut souffler pour écarter les nuages et retrouver quelqu’un qu’on a perdu dans le paysage.
Le couple est un exemple. À tous les sens du terme.
L’homme est un infidèle. La femme est jalouse.
Quand ils se parlent, ils sont dans les airs. Dans un très grand lit.
Ils ne font pas de phrases longues.
Entre un jour et l’autre, plusieurs dizaines ou centaines d’années s’écoulent.
Ils sont toujours dans le très grand lit.
Les choses qui arrivent ne sont pas vécues consciemment.
Ce sont des actes. Tous les actes ont des conséquences graves.
Personne ne sait ce qu’il fait.
Quand on ne sait pas ce qu’on fait, le destin se manifeste.
Il n’y a pas de réflexion à avoir sur le destin. On ne peut pas le changer.
C’est une histoire qu’on écoute.
On peut relier les événements les uns aux autres en s’allongeant sur le sol.
Alors les choses se touchent.
En s’allongeant sur le sol, dans la forêt, au bord de l’eau, c’est là que l’on entend l’histoire.
La tête penchée.
Un jour qu’il a bu, l’homme confie à sa femme quelque chose.
Ce jour-là, il essaie de parler avec elle librement, sans penser à conséquence. Il lui dit ce qu’il pense : que les femmes ont plus de plaisir que les hommes.
Il n’y a pas de relation de parole ni de pensée dans ce couple. Il y a des actes et des conséquences.
Il n’y a pas de métaphore.
C’est pourquoi ces propos de l’homme mettent la femme en colère.
Lui parlant du plaisir des femmes, l’homme parle de toutes les femmes, c’est-à-dire des autres.
Le partage du plaisir entre les hommes et les femmes est une question originaire.
Le partage du plaisir est une question de savoir, et de pouvoir.
Le couple en discorde va prendre conseil auprès d’un homme qui a la chance d’avoir été une femme pendant quelque temps.
L’homme, qui possède ce savoir pour avoir fait l’expérience des deux sexes et des deux sortes de plaisir, confirme.
L’épouse le prend très mal, elle est « dépitée excessivement » et condamne l’homme à la cécité.
La bisexualité est une disposition naturelle des êtres humains ; où l’on voit qu’elle pose d’emblée la question d’un savoir sur le plaisir et du danger d’un tel savoir.
Savoir est le plus grand danger.
Qu’est-ce qu’un savoir sur le plaisir.
L’homme a donné à l’aveugle des dons de voyance pour contrer le mauvais sort de sa femme jalouse.
La jalousie est un moteur.
Voir et savoir sont équivalents.
On est toujours allongé dans l’herbe au bord de l’eau.
Le monde est rond autour de moi. Si je me retourne, je tombe.
En fait, il n’y a pas encore d’image. Il n’y a pas encore de pensée. Il n’y a ni passé, ni présent.
L’histoire n’existe que parce qu’elle est racontée.
Une histoire arrive sur une autre pour lui donner raison ou tort.
Aucune histoire, ni la mienne, ni la tienne, ne peut tenir toute seule. Il n’y a pas d’histoire individuelle.
Une autre histoire a lieu qui tombe sur la première, se déverse.
L’amour est liquide, rien ne l’arrête.
Une femme très belle est violée par un fleuve.
Un enfant naît de cette union.
Il vaut mieux être le fleuve, qu’être au bord du fleuve.
Il vaut mieux être déjà devenu qu’être au bord de devenir.
Chacun devient autre chose et c’est une inquiétude pour une mère.
L’enfant est beau, qu’est-ce qu’il va devenir.
Certaines scènes sont plus importantes que d’autres.
Certaines, mieux racontées, ou développées plus tard.
Ce qu’il advient des scènes qui ne sont pas bien racontées. Par exemple, le viol de Liriope par le fleuve Céphyse, est-il à l’origine du destin de Narcisse.
Est-ce qu’on est plus heureux en sachant comment on a été conçu.
Tout coule.
L’histoire n’est pas une pensée mais un élément.
Toujours allongé dans l’herbe c’est comme ça que l’histoire nous parvient.
J’essaie de tenir les choses ensemble.
Je suis allongée dans l’herbe, je suis dans ma chambre.
C’est chez moi.
Ça tourne.
Ce qu’il se serait passé si sa mère ne s’était pas inquiétée.
Hélas, hélas, dit Narcisse, enfant vainement chéri.
Je me suis réveillée avec le corps tout raide et des fourmis dans les poignets. Ce n’est pas tout de suite que je m’en suis rappelé. C’est plus tard le matin, dans les jardins. J’étais au téléphone avec une amie. Elle me parlait de son jeune fils, qui commençait à la frapper et à se frapper lui-même. Je l’écoutais s’interroger sur l’origine de cette violence. Je disais, on ne sait jamais comment ça arrive. On dirait que la violence arrive aux hommes depuis la préhistoire directement, passant par-dessus des siècles de civilisation. Dans un bosquet qui ronronnait de l’amour des oiseaux qui s’y nichaient, j’ai senti des ailes frôler mon épaule de très près, et j’ai vu passer une jeune perruche verte que j’avais dérangée. J’avais senti le froissé de ses plumes presque contre ma joue. C’est alors, et j’ai raccroché le téléphone, que le rêve est remonté. Il est revenu par la sensation de légère frayeur, le frottement de l’animal, et le contact de l’herbe, la dimension des arbres très hauts qui m’entouraient. Le détail de la vision du rêve, la finesse de sa composition me sont apparues au fur et à mesure que je comprenais que je l’avais dessiné intérieurement à partir de mes observations sur la vision elle-même. Quand j’avais pu constater, avec une extraordinaire jubilation, que le monde vu par mes yeux, forcément, était rond. J’avais perçu le rond de ma propre vision.
Je suis allongée dans l’herbe, sur le côté. La tête posée sur mon bras qui est étendu tout autour du rêve. Derrière moi, ou juste en dessous de mon bras qui étreint l’image, il y a quelqu’un. Un homme ou une femme, que mon bras entoure. La position est amoureuse et involontaire (au bord de la chute). Nous sommes au bord de l’image et du rêve, près de tomber d’un côté ou de l’autre. Je n’ai pas dit que j’ai la tête au ras du sol et que tout apparaît depuis cet angle de vue, comme en dessous quelque chose de très grand, un gros morceau de ciel blanc qui prend tout l’espace. Devant moi, dans l’axe de mon regard, une étendue d’herbe légèrement inclinée, comme un photogramme de La Région centrale, de Michael Snow. J’entre alors à l’instant dans la conscience de ma situation, je me perçois. Une voix me prévient de quelque chose. Quand je me retourne, toujours allongée, je vois, à hauteur de mon visage mais encore à distance, la tête légèrement dressée d’une vipère et son corps qui avance. J’essaie de bouger, je vois un autre serpent venir de l’autre côté. Les serpents surgissent quand je bouge, leurs mouvements dépendent de mes mouvements. La voix que j’entends me rassure qu’ils ne sont pas mauvais. Je ne sais pas ce que ça veut dire. J’essaie de bouger, de ramper doucement. J’en éprouve la pénible incapacité. Je suis un serpent devant le serpent.
Il n’y a pas vraiment de début.
Il y a un couple. Un homme et une femme.
Alors, on peut souffler pour écarter les nuages et retrouver quelqu’un qu’on a perdu dans le paysage.
Le couple est un exemple. À tous les sens du terme.
L’homme est un infidèle. La femme est jalouse.
Quand ils se parlent, ils sont dans les airs. Dans un très grand lit.
Ils ne font pas de phrases longues.
Entre un jour et l’autre, plusieurs dizaines ou centaines d’années s’écoulent.
Ils sont toujours dans le très grand lit.
Les choses qui arrivent ne sont pas vécues consciemment.
Ce sont des actes. Tous les actes ont des conséquences graves.
Personne ne sait ce qu’il fait.
Quand on ne sait pas ce qu’on fait, le destin se manifeste.
Il n’y a pas de réflexion à avoir sur le destin. On ne peut pas le changer.
C’est une histoire qu’on écoute.
On peut relier les événements les uns aux autres en s’allongeant sur le sol.
Alors les choses se touchent.
En s’allongeant sur le sol, dans la forêt, au bord de l’eau, c’est là que l’on entend l’histoire.
La tête penchée.
Un jour qu’il a bu, l’homme confie à sa femme quelque chose.
Ce jour-là, il essaie de parler avec elle librement, sans penser à conséquence. Il lui dit ce qu’il pense : que les femmes ont plus de plaisir que les hommes.
Il n’y a pas de relation de parole ni de pensée dans ce couple. Il y a des actes et des conséquences.
Il n’y a pas de métaphore.
C’est pourquoi ces propos de l’homme mettent la femme en colère.
Lui parlant du plaisir des femmes, l’homme parle de toutes les femmes, c’est-à-dire des autres.
Le partage du plaisir entre les hommes et les femmes est une question originaire.
Le partage du plaisir est une question de savoir, et de pouvoir.
Le couple en discorde va prendre conseil auprès d’un homme qui a la chance d’avoir été une femme pendant quelque temps.
L’homme, qui possède ce savoir pour avoir fait l’expérience des deux sexes et des deux sortes de plaisir, confirme.
L’épouse le prend très mal, elle est « dépitée excessivement » et condamne l’homme à la cécité.
La bisexualité est une disposition naturelle des êtres humains ; où l’on voit qu’elle pose d’emblée la question d’un savoir sur le plaisir et du danger d’un tel savoir.
Savoir est le plus grand danger.
Qu’est-ce qu’un savoir sur le plaisir.
L’homme a donné à l’aveugle des dons de voyance pour contrer le mauvais sort de sa femme jalouse.
La jalousie est un moteur.
Voir et savoir sont équivalents.
On est toujours allongé dans l’herbe au bord de l’eau.
Le monde est rond autour de moi. Si je me retourne, je tombe.
En fait, il n’y a pas encore d’image. Il n’y a pas encore de pensée. Il n’y a ni passé, ni présent.
L’histoire n’existe que parce qu’elle est racontée.
Une histoire arrive sur une autre pour lui donner raison ou tort.
Aucune histoire, ni la mienne, ni la tienne, ne peut tenir toute seule. Il n’y a pas d’histoire individuelle.
Une autre histoire a lieu qui tombe sur la première, se déverse.
L’amour est liquide, rien ne l’arrête.
Une femme très belle est violée par un fleuve.
Un enfant naît de cette union.
Il vaut mieux être le fleuve, qu’être au bord du fleuve.
Il vaut mieux être déjà devenu qu’être au bord de devenir.
Chacun devient autre chose et c’est une inquiétude pour une mère.
L’enfant est beau, qu’est-ce qu’il va devenir.
Certaines scènes sont plus importantes que d’autres.
Certaines, mieux racontées, ou développées plus tard.
Ce qu’il advient des scènes qui ne sont pas bien racontées. Par exemple, le viol de Liriope par le fleuve Céphyse, est-il à l’origine du destin de Narcisse.
Est-ce qu’on est plus heureux en sachant comment on a été conçu.
Tout coule.
L’histoire n’est pas une pensée mais un élément.
Toujours allongé dans l’herbe c’est comme ça que l’histoire nous parvient.
J’essaie de tenir les choses ensemble.
Je suis allongée dans l’herbe, je suis dans ma chambre.
C’est chez moi.
Ça tourne.
Ce qu’il se serait passé si sa mère ne s’était pas inquiétée.
Hélas, hélas, dit Narcisse, enfant vainement chéri.
Je me suis réveillée avec le corps tout raide et des fourmis dans les poignets. Ce n’est pas tout de suite que je m’en suis rappelé. C’est plus tard le matin, dans les jardins. J’étais au téléphone avec une amie. Elle me parlait de son jeune fils, qui commençait à la frapper et à se frapper lui-même. Je l’écoutais s’interroger sur l’origine de cette violence. Je disais, on ne sait jamais comment ça arrive. On dirait que la violence arrive aux hommes depuis la préhistoire directement, passant par-dessus des siècles de civilisation. Dans un bosquet qui ronronnait de l’amour des oiseaux qui s’y nichaient, j’ai senti des ailes frôler mon épaule de très près, et j’ai vu passer une jeune perruche verte que j’avais dérangée. J’avais senti le froissé de ses plumes presque contre ma joue. C’est alors, et j’ai raccroché le téléphone, que le rêve est remonté. Il est revenu par la sensation de légère frayeur, le frottement de l’animal, et le contact de l’herbe, la dimension des arbres très hauts qui m’entouraient. Le détail de la vision du rêve, la finesse de sa composition me sont apparues au fur et à mesure que je comprenais que je l’avais dessiné intérieurement à partir de mes observations sur la vision elle-même. Quand j’avais pu constater, avec une extraordinaire jubilation, que le monde vu par mes yeux, forcément, était rond. J’avais perçu le rond de ma propre vision.
Je suis allongée dans l’herbe, sur le côté. La tête posée sur mon bras qui est étendu tout autour du rêve. Derrière moi, ou juste en dessous de mon bras qui étreint l’image, il y a quelqu’un. Un homme ou une femme, que mon bras entoure. La position est amoureuse et involontaire (au bord de la chute). Nous sommes au bord de l’image et du rêve, près de tomber d’un côté ou de l’autre. Je n’ai pas dit que j’ai la tête au ras du sol et que tout apparaît depuis cet angle de vue, comme en dessous quelque chose de très grand, un gros morceau de ciel blanc qui prend tout l’espace. Devant moi, dans l’axe de mon regard, une étendue d’herbe légèrement inclinée, comme un photogramme de La Région centrale, de Michael Snow. J’entre alors à l’instant dans la conscience de ma situation, je me perçois. Une voix me prévient de quelque chose. Quand je me retourne, toujours allongée, je vois, à hauteur de mon visage mais encore à distance, la tête légèrement dressée d’une vipère et son corps qui avance. J’essaie de bouger, je vois un autre serpent venir de l’autre côté. Les serpents surgissent quand je bouge, leurs mouvements dépendent de mes mouvements. La voix que j’entends me rassure qu’ils ne sont pas mauvais. Je ne sais pas ce que ça veut dire. J’essaie de bouger, de ramper doucement. J’en éprouve la pénible incapacité. Je suis un serpent devant le serpent.