Comme dans la toge des anciens romains, un élément essentiel de l’italianité semble aujourd’hui s’être niché dans le revers de la veste des patriciens de ce siècle.
Le revers est deux fois symbolique : il marque l’appartenance de son porteur à la communauté, tout en procédant, pour celui qui la cherche, à sa définition.
Fixé sur une veste évoquant tour à tour, ou plutôt en chaque instant à la fois, un bourgeois des années soixante-dix finissant son droit et un jeune espoir de la mafia du sud du pays, le revers réalise l’exploit de marquer à la fois le sérieux de l’homme dont il ceint la poitrine et le baroque d’un anachronisme d’autant plus violent aux yeux de l’observateur ultrapyrénéen qu’il est inconscient.
Observé au vol, dans une rue, par un œil feignant l’indifférence ou un esprit déjà partiellement encombré par un appel ou un rendez-vous imminent, la romanité doit se lire instantanément dans le revers de la veste. Sa largeur hors du commun est en cela à la fois véhicule du sens et sens lui-même. Absous de toutes les conventions régissant les rapports de proportionnalité des volumes entre eux, le bout de tissu spatiophage occupe, sur la poitrine du porteur, une place sans rapport avec son utilité pratique. Mais elle permet à son message d’être assurément capté par les récepteurs embouteillés des passants vagabonds, touristes absorbés par un cornet de glace, députés affairés à prétendre fuir les caméras. Surtout, la massivité du pliage de bord de veste proclame la distinction nostalgique, un rien conservatrice, de celui qui l’endosse. Rejetons hybridés des costumes napolitains de l’entre-deux guerres et des cols du new Hollywood, les larges revers romains rappellent la filiation complexe de leurs porteurs, alternativement malfaiteurs assagis et hommes d’affaires accomplis.
S’il est identifiable dans de nombreuses villes italiennes, le revers extraverti ne s’épanouit pleinement que le long des rues romaines. C’est que, nés dans la demeure dorée de la mère du Baroque, les romains semblent s’être naturellement accommodés de ses démesures, jusqu’à, par l’intermédiaire d’un morceau de tissu, les attacher chaque jour à leurs propres corps. Car l’extravagance du revers ne se limite pas à son étendue : son dessin se doit d’être arrondi, boursouflé comme une façade de Borromini, les collines de Rome et la Saraghina fellinienne. Le tissu répond aux murs de la ville qui l’abrite, aux sursauts imprévisibles des pierres vivantes de ses églises, aux flammes dansantes des lignes de leurs dômes, à la furie démentielle de ses statues.
« Bien sûr, le revers n’est pas l’unique atour stylistique de la romanité. »1 Il a su, pour le meilleur effet, s’entourer d’éléments codifiant l’ensemble de l’apparence de son hôte. Les pieds sont glissés dans des chaussettes ecclésiastiques, elles-mêmes fourrant idéalement des mocassins épais. La tête est bordée de bouclettes noires luisantes, lustrées jusqu’à l’écœurement comme une herbe normande trempée par une rosée huilée ; et, en toutes circonstances, scindée aux trois-quarts de sa hauteur par des lunettes opaques. Mais, entre les deux, la protubérance s’affiche désormais sur la veste comme la médaille militaire au siècle dernier, avec l’assurance d’un excès de tissu conscient que de lui dépend l’obtention de la véritable citoyenneté de la ville.

Vittorio De Sica, Mariage à l’italienne, 1964

Maison Gucci, saison automne-hiver 2020
Comme dans la toge des anciens romains, un élément essentiel de l’italianité semble aujourd’hui s’être niché dans le revers de la veste des patriciens de ce siècle.
Le revers est deux fois symbolique : il marque l’appartenance de son porteur à la communauté, tout en procédant, pour celui qui la cherche, à sa définition.
Fixé sur une veste évoquant tour à tour, ou plutôt en chaque instant à la fois, un bourgeois des années soixante-dix finissant son droit et un jeune espoir de la mafia du sud du pays, le revers réalise l’exploit de marquer à la fois le sérieux de l’homme dont il ceint la poitrine et le baroque d’un anachronisme d’autant plus violent aux yeux de l’observateur ultrapyrénéen qu’il est inconscient.
Observé au vol, dans une rue, par un œil feignant l’indifférence ou un esprit déjà partiellement encombré par un appel ou un rendez-vous imminent, la romanité doit se lire instantanément dans le revers de la veste. Sa largeur hors du commun est en cela à la fois véhicule du sens et sens lui-même. Absous de toutes les conventions régissant les rapports de proportionnalité des volumes entre eux, le bout de tissu spatiophage occupe, sur la poitrine du porteur, une place sans rapport avec son utilité pratique. Mais elle permet à son message d’être assurément capté par les récepteurs embouteillés des passants vagabonds, touristes absorbés par un cornet de glace, députés affairés à prétendre fuir les caméras. Surtout, la massivité du pliage de bord de veste proclame la distinction nostalgique, un rien conservatrice, de celui qui l’endosse. Rejetons hybridés des costumes napolitains de l’entre-deux guerres et des cols du new Hollywood, les larges revers romains rappellent la filiation complexe de leurs porteurs, alternativement malfaiteurs assagis et hommes d’affaires accomplis.
S’il est identifiable dans de nombreuses villes italiennes, le revers extraverti ne s’épanouit pleinement que le long des rues romaines. C’est que, nés dans la demeure dorée de la mère du Baroque, les romains semblent s’être naturellement accommodés de ses démesures, jusqu’à, par l’intermédiaire d’un morceau de tissu, les attacher chaque jour à leurs propres corps. Car l’extravagance du revers ne se limite pas à son étendue : son dessin se doit d’être arrondi, boursouflé comme une façade de Borromini, les collines de Rome et la Saraghina fellinienne. Le tissu répond aux murs de la ville qui l’abrite, aux sursauts imprévisibles des pierres vivantes de ses églises, aux flammes dansantes des lignes de leurs dômes, à la furie démentielle de ses statues.
« Bien sûr, le revers n’est pas l’unique atour stylistique de la romanité. »1 Il a su, pour le meilleur effet, s’entourer d’éléments codifiant l’ensemble de l’apparence de son hôte. Les pieds sont glissés dans des chaussettes ecclésiastiques, elles-mêmes fourrant idéalement des mocassins épais. La tête est bordée de bouclettes noires luisantes, lustrées jusqu’à l’écœurement comme une herbe normande trempée par une rosée huilée ; et, en toutes circonstances, scindée aux trois-quarts de sa hauteur par des lunettes opaques. Mais, entre les deux, la protubérance s’affiche désormais sur la veste comme la médaille militaire au siècle dernier, avec l’assurance d’un excès de tissu conscient que de lui dépend l’obtention de la véritable citoyenneté de la ville.

Vittorio De Sica, Mariage à l’italienne, 1964

Maison Gucci, saison automne-hiver 2020